Grace à moi, une femme de 40 ans a repris la lecture. J’avais originellement publié cette histoire sur reddit, mais c’est un événement de ma vie bibliothécaire qui est important pour moi et que j’avais envie de partager avec vous aussi, en français cette fois.
Durant mes études, j’étais vacataire en bibliothèque pour le réseau de Montpellier, et travaillais un jour par semaine dans la médiathèque de la petite ville de la banlieue de Montpellize. J’étais, comme bien souvent, en train d’essayer de ranger les livres pour que tous les retours rentrent dans les étagères toujours trop pleines. Je sens un regard se poser sur moi et me retourne.
L’inconnue et Emma de Jane Austen
Je me retrouve alors face à face avec une dame d’un certain âge, qui me fixait sans oser m’approcher. Elle se tenait, mal à l’aise, debout derrière moi. Dans ses bras se trouvait un gros volume de Jane Austen, une traduction d’Emma en grand format. Elle n’avait probablement pas osé aller au point d’information, et s’était tournée vers moi. Bizarrement, il arrive très souvent que, même quand je ne travaille pas quelque part, les gens se tournent vers moi lorsqu’ils ont besoin d’aide (la SNCF me doit probablement de l’argent).
Le truc, c’est que je suis une immense fan de Jane Austen. Bien sûr, je n’allais pas laisser savoir immédiatement cette partialité à l’usagère devant moi. Je ne voulais pas la mettre dans une position où elle n’oserait pas être honnête avec moi. Je lui ai donc simplement demande si elle cherchait quelque chose et comment je pouvais aider.
Rencontre entre une bibliothécaire et une non lectrice de longue date
Elle me répond qu’elle cherche effectivement quelque chose : non pas un livre, mais des conseils.
C’est alors qu’elle m’explique qu’elle a la quarantaine, mais n’avait jamais poussé la lecture plus loin que les lectures obligatoires au programme scolaire, et encore. Mais aujourd’hui, elle avait décidé de se donner une chance d’essayer de reprendre la lecture pour voir si cela lui plaisait. Le livre de Jane Austen lui faisait très envie; problème : sa taille ! Près de 400 pages. Cela l’impressionnait vivement. Elle avait peur de ne pas pouvoir reprendre la lecture avec ce livre et voulait mon opinion sur le sujet.
Réorienter quelqu’un vers la lecture, une affaire délicate !
J’ai commencé par lui dire franchement qu’effecticement, un livre de 400 pages pouvait être beaucoup à encaisser pour commencer. C’est pourquoi, si elle le voulait, je pouvais la rediriger vers des lectures plus courtes (et plus grand public, ce que certains appellent plus ou moins péjorativement la littérature de gare. Mais j’ai aussi insisté sur deux choses :
- D’abord, que commencer la lecture tardivement n’était absolument pas honteux. Au contraire, sa démarche de venir dans une mediatheque et me demander conseil était très courageux de sa part. J’ai commencé par ça car elle avait l’air très intimidée et mal à l’aise.
- Enfin, que quelque soit le résultat de sa démarche, il était positif d’essayer de renouer avec une activité, quitte à ce que ça ne marche pas ! Au contraire, elle n’aurait cette fois pas de regrets car elle aurait avec elle la fierté d’avoir essayé.
Dans cette situation, j’aurais pu immédiatement commencer à sortir des livres des étagères pour lui montrer les alternatives plus aisés. Mais c’est quelque chose qui m’effraie et m’intimide beaucoup avec les vendeurs. Généralement, dans ces cas, je repars avec les suggestions du vendeur plutôt que ce que j’avais en tête. Je ne voulais pas que sa première expérience dans une mediatheque soit comme ça, et je voulais qu’elle comprenne que j’étais à son écoute. Après avoir suggéré brièvement des lectures plus faciles, je lui ai dit que mêle si cela paraissait difficile, cela n’était pas impossible ! Elle avait six semaines pour lire le livre, et si elle ne parvenait pas à le finir, il n’y avait aucune honte à cela, du tout ! Elle semblait boire mes paroles et serrait le livre plus fort contre elle.
Elle ne me répondait pas, mais hochait la tête régulièrement. Comme cela fait bizarre d’être en position de conseil du haut de ses 24 ans !
Confessions d’une fan de Jane Austen
C’est alors que je lui ai avoué que j’étais une grande fan de Jane Austen. Que quand je n’avais pas le temps de lire à cause des travaux ou des lectures demandés par l’université, je trouvais toujours du temps pour Jane Austen, car ses romans me detendaient et que je les lisais très facilement. Je lui ai alors dit que j’avais même découvert en ligne que beaucoup de lecteurs, parfois des petits lecteurs, aimaient les livres de Jane Austen et qu’il ne fallait pas se laisser effrayer par l’étiquette de classique. En effet, ils sont très accessibles, et les traductions actuelles sont parfaites pour le lecteur contemporain.
Je lui demande ce qu’elle aime dans les médias, et elle me dit un peu tout. Je lui réponds alors :
Si vous aimez les histoires pleines de rebondissements, la romance et les petits ragots, vous avez tout ça dans les livres de Jane Austen !
Je lui demande ensuite si elle se sent de partir avec Emma, ou si elle veut partir avec une des recommandations faites un peut plus tôt. Elle me répond, le regard plein de détermination : “merci, vos conseils m’ont vraiment aidé à me sentir mieux”. Elle est allée, un peu perdue, vers le bureau d’information juste à côter pour emprunter le livre et est repartie avec.
Et au final
Je ne l’ai jamais revue, mais je sais qu’elle a prolongé l’emprunt livre, ce qui voulait probablement dire qu’elle était en train de le lire. Je le suis dit que lentement mais sûrement, elle devait progresser dans son premier livre depuis des années.
Je n’ai aucun moyen de savoir si elle a continué à lire, mais cela est secondaire. Ce qui m’émeut à propos de cette histoire et comment une étrangère timide m’a accorde sa confiance pour renouer avec une pratique sacralisée et que, par la lecture de son comportement et de l’écoute, j’ai réussi à lui donner la confiance de partir avec le livre qu’elle avait choisi. Je m’étais dit qu’elle était probablement intimidée et avait juste besoin d’un coup de pouce, et cela me touche que ça ait pu être moi.
Cela en fait l’histoire de mon temps en tant que bibliothécaire vacataire que je chéris le plus. Et vous, avez vous des expériences similaires ? Comment avez vous découvert Jane Austen ?