Bonjour à tous !
Pour inaugurer la section du salon dédiée à l’histoire de la sorcellerie, je voudrais vous présenter une petite histoire du sabbat des sorcières que cet article vient introduire. Des peurs médiévales portées par la chrétienté à la tragique chasse aux sorcières et aux procès de Salem, en passant par l’histoire de l’art, que ce soit par des artistes romantiques ou actuels, le sabbat des sorcières fascine. C’est pourquoi il me semblait important d’explorer ce vaste sujet, non pas avec un long article – il y aurait de quoi écrire des livres, de toute façons ! – mais avec une série d’articles thématiques traitant de différents aspects. Des concoctions végétales ayant donné lieu à la mythique image du vol des sorcières, à l’origine mondaine (non magique) de leur représentation aux extraits d’œuvres littéraires ou scientifiques sur le sujet, j’espère vous faire découvrir au moins une chose sur le sujet. C’est pourquoi je me dois de commencer par le commencement !
Le sabbat des sorcières, c’est quoi ?
Trigger warnings : violence, misogynie, meurtre, sacrifice, torture, sexe
Le sabbat des sorcières est une image mythique de réunions nocturnes de sorcières, sorciers, démons, autour de la figure de Satan. De toutes les images associées à la figure de la sorcière, le sabbat est la plus négative : l’église
et les officiels (qui sont alors souvent la même chose, ou partagent les mêmes intérêts) se sert de la paranoïa et de la peur inspirée par l’idée que de telles réunions puissent se produisent pour justifier et rationaliser la persécution exercée contre les sorcières au grand public. Et le pire, c’est que cela marche plutôt bien, alors que de telles réunions n’ont jamais eu lieu, ce que confirment des historiens dans des papiers plutôt récents comme Scott E. Hendrix en 20111. Comment se fait-il que le mythe ait pu alors perdurer pendant si longtemps ? Une propagande active, ancrée dans une profonde misogynie ainsi que des « preuves indiscutables » en l’état d’aveux arrachés par l’Inquisition avec des méthodes qui feraient avouer à peu près tout ce que les bourreaux pourraient vouloir entendre, pourvu qu’elle s’arrête.
L’angle de la misogynie est nécessairement à ajouter à celui de l’obscurantisme religieux. Pourquoi ? Car contrairement aux idées reçues, la chasse aux sorcières ne connaît pas son pic pendant la période médiévale, mais pendant la Renaissance, pourtant placée sous le signe de la rationalité… Une vertu dont seuls les hommes seraient disposés. De nombreuses guérisseuses, accoucheuses – dont les surnoms obscurs donnés à certaines plantes, parfois pour ne pas se faire voler leurs recettes2, ont contribué au mythe des « potions » et des crimes supposément commis pour les concoctés, si elles ne sont pas des inventions pures d’inquisiteurs peu originaux3 – sont mises en concurrence avec l’essor nouveau de la médecine nouvelle pratiquée par les hommes. Cet élan misogyne d’effacement de la femme continuera bien après, avec l’effacement, par l’Académie Française, du mot autrice, les femmes n’ayant pas leur place dans l’écriture qu’elles ont pourtant pratiqué et porté pendant l’époque médiévale4.
Les premières « fake news » colportées par l’église chrétienne sur ces fameux sabbats, non content de circuler, on aussi été amplifiées, aggravées, perverties. Les premières victimes sont les femmes qui ont passé la ménopause5, avant de s’étendre. Plus l’on avance dans le temps, et plus les événements supposés arrivés pendant le sabbat des sorcières seraient graves – ce qu’illustre parfaitement la peinture du Sabbat des Sorcières de Francisco de Goya (1797), où de vieilles femmes encerclent le bouc, symbole du diable, dont les parties génitales sont exposées, suggérant des rituels mêlant satanisme et luxure. L’image du balais que chevaucheraient les sorcières va aussi dans ce sens la… Non seulement ces femmes âgées ne connaissent pas la pudeur, mais elles lui tendent aussi de jeunes enfants en sacrifice, en l’échange de leurs pouvoirs !
À l’époque où Goya peint le Sabbat, en 1797, le courant romantique du Sturm und Drang (lit. « Tempête et passion »), en provenance d’Allemagne, bât son plein. Le but est d’exposer le spectateur au sublime : des scènes atroces, effrayantes, choquantes, mais qui, observées à l’abri de la configuration artistique, permettent de s’imprégner des vives émotions artistiques et esthétiques qui seraient remplacées par de la pure terreur si l’on y était confronté en réalité. Le fait que l’image qui était véhiculée des sabbats colle à cette définition en dit long sur les rumeurs colportées.
Scott E. Hendrix confirme cela en montrant que les rumeurs allaient aussi loin qu’à supposer que les sorcières invoquaient les morts, maudissaient les vivants et allaient même jusqu’à pouvoir invoquer la peste, ou d’autres épidémies, maladies ou maux, le tout dans une ambiance d’orgie où les nécromanciennes allaient jusqu’à faire revenir les morts à la vie… Lorsqu’est née l’image du couvent des sorcières, apparaît aussi une mystérieuse conception permettant de voler qui sera le sujet de notre prochain article. Paradoxalement, l’escalade de ces fausses rumeurs permet des procès aux méthodes encore plus barbares que les supposés sabbats, qui les justifient amplement aux yeux de tous56. Ces pratiques barbares, toujours d’actualité lors de la découverte du nouveau monde et des grandes colonisations verra même des procès pour sorcellerie occidentale se conduire en Afrique noire7, ainsi qu’aux fameux procès de Salem.
Bien que n’ayant jamais vraiment existé, l’immense et choquant imaginaire autour du sabbat des sorcières ainsi que la violence de sa répression par l’Eglise et l’inquisition feront que ces réunions rentreront dans les lieux communs de la représentation de la sorcière et occupent aujourd’hui encore une place importante dans les représentations de ces dernières dans l’art. Enfin, tout comme l’image du couvent, sorcièrEs d’aujourd’hui se sont réappropriés cette histoire violente tout autour du globe. Bien que de cultures différentes, iels font revivre le sabbat comme des célébrations joyeuses permettant de réaffirmer leur sens de la communauté ainsi que leur liberté et la postérité de leurs propres traditions magiques8.
Voilà pour ce qu’il en est de la réalité du sabbat et de sa postérité aujourd’hui. J’espère que cela vous a plu, n’hésitez pas à me dire quels aspects vous intéressent le plus ! Je me permettrai de glisser un petit article sur Madoka Magica, puisqu’après tout, c’est le sujet, vraiment ! Mais avant tout cela, on se retrouve demain pour un article moins lourd sur des conseils pour le bon séchage de vos herbes ainsi que d’autres surprises…
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Image mise en avant : Rik Garrett, Untiltled, Earth magic series, photo sur gélatine, 2012, États-unis
1 – Scott E. Hendrix, « The Pursuit of Witches and Sexual Discourse of the Sabbath », 2011
2 – Fez Inkwright, Botanical Curses and Poisons, The Shadow Life of plants, Liminal 11, 2021
3 – Michael Coby, The Poison Path Herbal: Baneful Herbs, Médicinal Nighshades and Ritual Entheogens, Park Street Press, 2021
4 – Michel Zink, Littérature Française au Moyen-Âge, PUF, troisième édition, 2020. On note notamment la présence de femmes troubadours. Plus tard, ce sont des figures comme Marguerite de Navarre ou Marie de France qui vont s’imposer.
5 – Scott E. Hendrix, op cit.
6 – Michelle Mae, « Daughters of the Night, The Witches’ Sabbath», in Witchcraft, Collectif, The Library of Esotherica, Taschen, 2021
7 – Michael Coby, op. cit.
8 – Michelle Mae, op. cit.