Bonjour à tous !
Aujourd’hui, j’ai le plaisir de pouvoir inaugurer une rubrique que je voulais mettre en place depuis longtemps : celle dédiée aux reviews écrites de decks. J’espère que cela vous plaira, car c’est un projet qui a pour moi été le moteur de création du salon, dont je vous parle plus en détail ici.
Et quoi de mieux pour enfin lancer une initiative qui me tient à cœur que d’en consacrer le premier article à un de mes jeux de tarots favoris – dont la troisième édition et dernière édition vient juste d’arriver chez moi d’Outre-Atlantique, The Lonely Dreamer tarot? Créé par Melissa Wotherspoon, il a été fondé par un kickstarter avant d’être disponible en pré-commande sur Etsy – que je me suis empressée d’acheter. En effet, j’avais eu un énorme coup de cœur pour ce jeu, mais je n’avais pas réussi à le trouver autrement que par une contrefaçon, qui n’est aujourd’hui plus disponible à la vente. Je suis tombée amoureuse de ce jeu et de son ambiance éthérée, un peu sombre, vraiment unique et impossible à retrouver ailleurs. En faisant un thread de mes jeux indépendants préférés, en me lamentant de ne pas avoir l’original, quand j’ai vu qu’il était disponible en pré-commande, et que c’était la dernière ! Vite, je fonce, et j’en profite pour commander l’oracle d’or avec, qui sera le sujet d’un prochain article. Il faut dire que j’aimais déjà beaucoup le courant symboliste et la pâte d’Odilon Redon , alors un jeu et un oracle sur le sujet ne pouvaient que me séduire…
Par son ambiance particulière, le Lonely Dreamer n’est pas à mettre entre toutes les mains – ou plutôt, toutes les mains
ne sont pas séduites par son ambiance particulière. Lorsque je propose des tirages en ligne, il n’est jamais choisi ! Heureusement, il a ses amateurs dans ma famille – le sortir devant ma mère me vaudra immédiatement des demandes de tirage, que j’ai du refuser aujourd’hui pour la rédaction de cet article.
The Lonely Dreamer tarot : présentation générale de la troisième édition du deck
The Lonely Dreamer tarot vient dans une belle grande boite, à l’ouverture à clapet, particulièrement pratique pour le rangement : bien qu’elle soit volumineuse, son format permet de facilement l’intégrer dans une bibliothèque, ce qui est pratique pour les gens comme moi chez qui les livres et les tarots sont rangés ensemble. Sur le clapet d’ouverture figure une citation d’Odilon Redon tirée de son texte A Soi-même »1, particulièrement bien choisie : « I have places there a little door opening on the mysterious » – « J’y ai mis une petite porte ouverte sur le mystère » (le français est la langue d’origine du texte de Redon). La démarche de ce tarot s’y retrouve, à mon sens, dès son ouverture, complètement résumée. En effet, la citation complète est « Je crois avoir fait un art expressif, subjectif, indéterminé. J’y ai mis une porte ouverte sur le mystère ».
On peut lire en effet dès le derrière de la boite : « un monde intérieur vibrant est né de l’enfance solitaire d’Odilon Redon. Transcrits en œuvres d’art chatoyantes, les rêves et les visions de Redon nous amènent une fois de plus dans le monde du Lonely Dreamer (rêveur solitaire). D’emblée, l’autrice n’établit pas la démarche artistique qui a mené à la création du deck de tarot que nous avons entre nos mains comme un simple passage par l’oeuvre de Redon, au cours duquel se serait glissé le tarot. Au contraire, Melissa Wotherspoon assume le choix de faire que le Lonely Dreamer soit une immersion totale au sein de l’œuvre et de la vie de l’artiste qu’elle semble maîtriser sur le bout des doigts. Cependant, elle réussi là où beaucoup ont échoué avant. En effet, s’il existe beaucoup de decks et d’oracles choisissent de se consacrer à l’univers d’un artiste ou d’un auteur, peu arrivent à une démarche aussi aboutie qui arrive à intégrer aussi habilement l’univers et la logique du Rider Waite ou d’un oracle, au point de créer une illusion d’interdépendance.
Une plongée dans l’univers artistique d’Odilon Redon
Si c’est l’univers d’Odilon Redon qui inspire le Lonely Dreamer où L’Oracle d’or* (* en français dans le texte), l’inverse n’est évidemment pas possible. Pourtant, l’inspiration profondément mystique de l’ensemble de son œuvre, son amour de la mythologie grecque, l’aura d’étrangeté qui entoure toutes ses compositions, son exploration de mondes alternatifs et intérieurs et enfin son goût pour la spiritualité et l’onirisme2 offrent une porosité certaine à l’univers du Raider Waite que Wotherspoon exploite avec brio. La troisième édition de ce deck est en cela une réussite, on y voit une réelle évolution dans le cheminement de l’autrice et son exploitation du concept.
Dans une analyse qui se voulait brève (vous allez très rapidement comprendre pourquoi j’ai choisi l’imparfait pour parler de la longueur), je vous propose de voir comment la sélection des œuvres et des thèmes choisis par l’autrice au cartomancien, à l’image du fou voyageant à travers les différents arcanes du jeu, de s’initier aux thèmes qui structurent l’œuvre de Redon. Ces choix sont à mon avis d’une grande justesse, car chacune des clés de compréhension des références mythologiques, historique ou artistique figurant sur les arcanes majeurs permet également de mettre en lumière un des aspects positifs ou négatifs de l’arcane, créant par ce biais un dialogue entre références culturelles et connaissances de cartomancie.
C’est par cet aspect que je trouve particulièrement réussi le Lonely Dreamer quand d’autres tarots inspirés de l’œuvre d’un artiste ou d’un mouvement me paraissent parfois manquer d’un petit je ne sais quoi qui me laisse sur ma faim. Wotherspoon arrive pour moi à faire de son tarot un espace où l’univers d’Odilon Redon dialogue avec l’univers du tarot Rider Waite Smith, quand il me semble parfois avec d’autres decks que les deux références choisies se côtoient sans jamais arriver à se croiser. En défense des autres jeux, il me semblerait par exemple quasiment impossible d’obtenir ce dont je parle en faisant, imaginons, un tarot dont la base serait l’œuvre de Berthe Morisot. Il s’agit pourtant de ma peintre préférée – mais le degré de porosité entre les deux univers est loin d’être comparable ! Après, la vocation de tous les decks n’est ni d’être analytique, ni sérieuse, ni même une entrée dans l’histoire de l’art comme c’est le cas ici – et j’ai envie de vous dire : bien heureusement !
The Lonely Dreamer : un parallèle entre la figure de Redon et l’arcane majeur du fou
Le parallèle entre l’arcane du fou et le rêveur solitaire
Le titre du tarot se vaut d’être évocateur : « le rêveur solitaire »… N’est-ce que moi qui imagine une jeune personne, les yeux en l’air et la tête dans les nuages se baladant distraitement dans les champs ? Cette figure évoque une certaine innocence, une jeunesse, l’envie de faire des choses ; mais il manque de volonté concrète de faire advenir ce à quoi il rêve et fait sans doute preuve d’une certaine immaturité.Mais après tout, son confrère le fou est l’arcane majeur numéro 0… Si cela peut sembler logique que le personnage sensé embarquer dans un voyage au travers des autres arcanes majeurs ne porte pas de numéro, il est aussi possible de voir le fou comme le moment avant le commencement, qui est aussi l’interprétation – légèrement inhabituelle dans un livret compagnon d’un deck de tarot – que propose Melissa Wotherspoon. Ainsi, le rêveur solitaire pourrait prendre le moment avant le voyage pour rêvasser… Il ne s’agit pas vraiment de ce qu’un voyageur avisé ferait pour préparer un voyage, mais avec cet arcane, nous sommes avec une figure de la jeunesse, après tout !
Dans la présente édition du jeu, le lien entre la figure imaginaire du Lonely Dreamer et du fou est renforcée : si pour la première édition jeu (grâce à laquelle, je l’ai, comme beaucoup, découvert), Wotherspoon choisi d’ajouter une carte additionnelle qu’elle nomme « The Seeker » (le chercheur) – que j’avoue être contente de n’avoir jamais tiré, ne sachant trop quoi en faire – elle a pour a seconde et troisième édition définitivement lié cette carte celle du fou, en supprimant la carte The Seeker mais en remplaçant le visuel de l’arcane du fou par celui de cette dernière, la peinture La chute d’Icare (The Fall of Icarus).
Dans le système du RWS (Rider Waite Smith), le fou représente l’innocence, une forme de naïveté : il peut être dupé, car il est bon et peut avoir du mal à voir la tromperie, car c’est un personnage qui a tendance à faire confiance. Il est aussi profondément joyeux, c’est une figure solaire. En cela, il est aventureux et spontané, avec une créativité teintée d’idéalisme. De plus, il représente une sorte de « page vierge » : il n’a as encore effectué le voyage au travers des arcanes majeurs, qui représente l’avancée à travers les épreuves de la vie. Malgré l’illustration choisie, La Chute d’Icare représente la figure classique de l’arcane majeur du fou. Il est amusant de voir comment Melissa Wotherspoon laisse transparaître dans la carte du fou, une dualité (après-tout, les cartes du tarot se lisent à la fois à l’endroit et à l’envers !) qui lui permet de faire de son Rider Waite à la fois un voyage du fou et un voyage du rêveur solitaire, qui pourrait être une figure de Redon. En effet, Redon connaît une enfance solitaire et mélancolique : atteint d’un trouble épileptique, il est contrait au repos dans une maison de campagne et passe beaucoup de temps seul dans la nature, à contempler. D’où l’image de rêveur solitaire qui pourrait en fait être l’image de l’artiste lui-même… Mais comment penser l’utilisation de la chute d’Icare pour l’arcane majeur du fou ?
Icare et sa chute pour l’arcane du fou, un choix osé !
Le dernier point que je voudrais commenter sur l’arcane majeur du fou, c’est le choix de la figure mythologique d’Icare. Si l’art de Redon est emprunt de nombreuses références mythologiques. La référence au mythe d’Icare est ici aussi discrète qu’étrange : une grosse tête tenue au dessus du vide par un être humain beaucoup plus petit. La référence au fou du RWS semble ici lointaine, le personne étant habituellement représenté comme un jeune insouciant prêt à partir en voyage, une figure neutre. Certes, Icare représente les excès liés à la figure du fou : négligeant d’écouter l’autorité paternelle par insouciance et esprit d’aventure. Ce désir d’indépendance, poussé uniquement par les aspects juvéniles et spontanés du fou, pourraient conduire aux conséquences tragiques que l’on connaît au héros mythologique. Le côté intrigant reste cette figure, sur la carte, qui jette Icare : serait-ce l’incarnation de l’avancé du fou dans la suite de son voyage au travers des arcanes du tarot, se débarrassant de ses défauts juvéniles pour avancer dans la suite de son voyage ?
Cela dit, il ne s’agit pas des seules figures mythologiques présente dans les arcanes majeurs – c’est pourquoi je propose que nous jetions un coup d’œil aux autres afin de mieux comprendre l’esprit du deck.
Les autres figures mythiques présentes dans les arcanes majeurs
Avant de passer à des aspects plus techniques,
1. Le magicien : Les figures celtes ont gagné une grande popularité dans le Pays-Basque (où Redon à servi) d’après la guerre napoléonienne Franco-Prusse, où elles ont servi à reconstruire un sens de la fierté nationale, nous apprend Melissa Wotherspoon.
Ainsi, il n’est pas anodin qu’Odilon Redon ait choisi de représenter une druidesse dans ses peintures. Il s’agirait ici de la mythique prétresse clairvoyante Gwinfea qui, selon plutarque, jouaient un rôle centrale dans la négociation des traités de paix, et participaient aux assemblées et débats aussi bien politiques que médiévaux. Comme l’autrice le dit elle même, leur important pouvoir dans les domaines spirituels et sociétaux en font une figure parfaite pour représenter une carte qui incarne la manifestation – qualités centrales pour comprendre cette arcane, rappele par le Docteur Esther Freinkel Tishman.
3. L’impératrice : Figure spirituelle, nourricière, associée à la sensualité et au féminin sacré, l’association à la divinité vénus, dont Odilon Redon à représenté de nombreuses variantes autour du thème de La naissance de Vénus, allait de soi.
7. Le chariot : Pour la carte du chariot, Wotherspoon choisi un autre thème récurrent dans la peinture d’Odilon Redon : Le Char d’Apollon. L’artiste français y dédie en effet une série entière entre 1905 et 1914, en hommage au peintre Eugène Delacroix et sous l’influence certaine de Gustav Moreau. Dans A soi Même, l’artiste écrivait à propos du « char soleil » :
« C’est le triomphe de la lumière sur les ténèbres. C’est la joie de la pleine luminosité en opposition à la tristesse de la nuit et des ombres, comme la joie de se sentir bien après l’angoisse. »
Cette lecture de cet épisode mythologique en fait un symbole du bien triomphant sur le mal. L’arcane majeur du Chariot, quant à elle, représente le succès, l’ambition, la volonté, mais aussi la discipline et la concentration. Ainsi, si les aspects positifs de la carte ne vont pas aussi loin que ceux que prête Redon au mythe, le choix de Melissa Wotherspoon s’explique tout à fait : d’abord, conduire un tel charriot demande une vraie volonté et un gros effort de concentration pendant lequel il ne faut pas faillir, surtout après une bataille. De même, Redon a du faire preuve de beaucoup de discipline lors d’actions répétées pour représenter le même mythe pendant près de neuf ans ! On peut aussi y voir un message d’espoir : si le consultant traverse une période de doutes ou difficile, se concentrer sur retrouver des activités qui lui feront retrouver la volonté d’agir de lui même pourront l’aider à retrouver du positif.
8. La force : Ici encore, le Lonely Dreamer se démarque des représentations traditionnelles de Rider Waite Smith. Pour l’arcane majeur de la force, l’autrice choisi une représentation de Jeanne d’Arc (autre titres : les méandres), figure historique admirée des symbolistes. Plus qu’une martyre chrétienne, Jeanne d’Arc devient pour eux une incarnation de la force de se battre jusqu’au bout pour ses idées et sa conception de l’Idéal. En effet, bien que cette figure historique soit souvent réutilisée par les chrétiens et fait l’objet de vifs débats idéologiques, les symbolistes s’intéressent d’avantage aux vérités universelles que peuvent transmettre certaines figures, ce qui n’est pas sans rappeler la démarche du tarot dont les symboles peuvent, dans une démarche de divination ou de développement personnel, ont l’objectif de traduire la plus grande panoplie possible de situations, événements et sentiments.
9. L’ermite : Redon est un peintre qui aime traiter le même sujet plusieurs fois – ainsi, Bouddha est une figure qui connaît aussi plusieurs représentations chez lui. Le choix de Wotherspoon de le choisir pour l’ermite ne surprend pas quand on connaît l’image du Bouddha chez nous. Tout comme l’ermite, il s’éloigne du monde des vivants pour se consacrer à sa spiritualité et est associé à une nature contemplative.
14. La tempérance : L’arcane majeur la tempérance n’est en apparence qu’une jeune femme en toge. En réalité, il s’agit de la mythique figure de Pandore, juste avant qu’elle n’ouvre la boite. Selon Wotherspoon, ce moment représente pour elle la balance parfaite entre l’avant et l’après – le lien est difficile à effectuer avec la patience, l’équilibre, la dévotion et la modération, qui sont les significations à l’endroit de la tempérance. Cependant, si l’on se fie à la signification mythologique de Pandore – encore un mythe qui attribue la damnation des hommes à la femme – il pourrait s’agir des qualités qui ont manqué à celle qui, par un défaut typiquement féminin, sera accusée d’avoir causé le malheur, sans que ne soit inquiétés les Dieux qui ont élaboré la manigance originelle3.
16. La tour : Il est courant d’associer le feu à la destruction tout comme à l’élan vital – la dualité de cet élément est d’ailleurs représentée dans l’image mythique du phénix, qui se consume quand son heure vient et renaît de ses cendres. Pour la tour, Wotherspoon a associé une peinture de Redon représentant une déesse du feu, ce qui semble représenter ici cette idée, qui est totalement dans l’idée de l’arcane majeur de la tour. L’œuvre représente aussi la créature mythologique hindoue Kundalini Shakti, un serpent dont l’éveil, qui se fait grâce à des techniques de méditation, signifie une période d’ouverture à soi même et d’apprentissage spirituel. L’autrice associe d’ailleurs le phénix à la figure de la tour : cet arcane majeur symbolise pour elle le fait de tout démolir pour faire table rase du passé et repartir sur des bases plus saines.
La notion de catastrophe ou de changement soudain, complet et difficile est souvent associé à l’arcane de la tour, qui est, je crois, une des arcanes que je vois le plus souvent être redoutée. Quand j’effectue un tirage pour un consultant qui connaît un petit peu les cartes, juste assez pour connaître la réputation houleuse de cet arcane, j’ai tendance à lui dire qu’avec l’arrivée de la tour, le plus dur est déjà derrière lui et qu’il ne faut jamais oublier que la destruction implique nécessairement une reconstruction, parfois de quelque-chose de meilleur. Dans l’interprétation suggérée par l’autrice du deck, c’est finalement ce seul aspect qui est conservé, en se concentrant sur l’aspect nécessairement spirituel d’un départ à zéro – et que même si celui-ci est douloureux et profond, il s’agit d’une expérience qui viendra nous former et peut-être déclencher une prise ce conscience. Je n’avais par exemple jamais considéré cet aspect !
17. Les étoiles : Nous finissons ce chemin à travers les références mythologiques dans les arcanes majeurs du Lonely Dreamer dans les étoiles – avec la dernière figure, mais pas des moindres, la déesse hindoue Sita. tout comme l’arcane des étoiles, elle représente l’espoir. Source d’inspiration pour les créatifs, elle guide aussi les âmes perdues. Sita est aussi une figure de fertilité, abondance, de flux vital de pureté, de passion et persévérance. Si l’on retrouve plutôt la première partie de son imagerie dans l’arcane majeur de l’étoile – d’autres rappelant plutôt la figure nourricière de l’impératrice – la déesse Sita pourrait, dans une démarche symbolique, incarner cette sorte de « vérité profonde » de la figure de l’étoile dont on oublie parfois le côté trompeur pour se concentrer sur cette image un peu douce que laissent l’espoir, la créativité et la mélancolie au coeur de la nuit.
Les arcanes mineurs
Les suites des arcanes mineurs du Lonely Dreamer respectent celles du Rider Waite Smith d’origine : pentacles, coupes, bâtons et deniers. De même, les cartes de cour représentent toujours des personnages humains, d’apparence masculine pour le page, le chevalier et le roi, et d’apparence féminine pour la reine. La seule exception est le chevalier de coupes, qui représente un centaure. Cela n’est pas toujours le cas – certains tarots thématiques choisissent de ne pas mettre de personnage du tout, d’autres des animaux, d’autres des humains en variant les genres indifféremment de la carte de cour, etc. Ici encore, le nombre et le nom de cartes de cour restent inchangés.
Tous les chevaliers sont à cheval – à l’exception du chevalier de coupes, qui est à moitié cheval. Il faut dire que les représentations artistiques de figures mythiques et littéraires ne manquent pas.
Les attributs des suites ne sont pas forcément visibles sur les cartes cour, mais discrètement dissimulés. Les apparitions les plus évidentes sont les épées – où même la reine est représentée comme une chevalière – et les bâtons. Par exemple, le page de coupes tient dans ses bras un coquillage, à la manière d’un petit enfant. Cela est assez représentatif de l’énergie dégagée par cette carte qui parle d’immaturité émotionnelle et d’apprendre à gérer celles-ci. Les coupes sont en effet associées à l’élément eau – en lien avec le coquillage, dont la coquille peut aussi retenir des petits volumes de matière. La reine de pentacles, qui ne figure pas sur la photo, est représentant tenant un ouvrage de broderie – cette figure protectrice terre à terre est ancrée dans la réalité matérielle. Or, la broderie était à l’époque effectuée dans un but décoratif, mais peut avoir des usages utiles. C’est aussi un ouvrage qui demande de la patience – les pentacles sont les arcanes mineures dont la réalisation peut se faire sur le plus long cours – et ancrage (la terre. Enfin, cela évoque aussi la figure d’une mère au foyer effectuant quelque travaux de coutures pour sa famille. Les cerceaux dont on se sert pour tendre efficacement les ouvrages de broderie sont ronds, ce qui rappelle le pentacle.
Le chevalier de coupes est peut-être la carte de cour qui peut paraître la plus mystérieuse. Pourquoi avons nous un centaure, quand toutes les autres figures sont humaines ? Pourquoi est-il le seul cavalier qui ne soit pas en train de combattre à l’épée ? Quel est le rapport entre le violon, la forêt, un centaure, et la suite des coupes, qui est liée à l’eau ? Peut-être que le lecteur connaissant les créatures mythologies et fantastiques est en train de bouillir d’excitation à l’idée d’avoir déjà la réponse : l’autrice du deck à décidé de représenter des éléments caractéristiques de la suite des coupes – une personne aussi émotive et sensible ne se trouve pas sur les champs de bataille : la créativité, le lyrisme, la sensibilité. La créativité est aussi représentée par le violon, instrument de musique signifiant le le romantisme, les envolées lyriques, la sensibilité artistique et le sens créatif, qui sont aussi représentées par les coupes. Le chevalier incarne la troisième étape parmi les cartes de cour avant d’atteindre le stade de roi – c’est aussi une figure de combattant. Or, c’est par l’art que les artistes mènent leur combat et s’engage. Cela justifie également le recours à une carte évoquant plutôt l’élément terre.
Les autres arcanes mineurs mélangent les noirs de Redon et les cartes couleurs. Le signe de la suite est inscrit en transparence, avec le nombre d’éléments correspondant au numéro de l’arcane. Ce moyen discret permet d’utiliser les œuvres sans distinction, et s’insère de manière plutôt discrète.
Ainsi, les visuels sont plutôt fidèles au Rider Waite Smith original, même en prenant des cartes au hasard. Le dix d’épées est lui aussi fidèle : s’il est moins abattu qu’habituellement, les noirs montrent pleinement la conclusion difficile et la grande douleur que porte cette carte. Dans le huit de pentacles, (ou le 8 de deniers), la figure du jeune d’homme évoque plus ou moins l’apprenti. En jouant avec l’incrustation des symboles des arcanes mineurs, on retrouve presque l’original, avec notre étudiant qui s’est bien appliqué à réaliser tous ses pentacles et admire le fruit de son travail, sans trop savoir quoi en faire.
Si le deck apparaît étrange et déconcertant, l’observation fine des cartes et la vérification des peintures, qui permettent d’avoir les bonnes références mythologiques, le rendent tout à fait lisible. Même sans renseignements complémentaires, une bonne connaissance des archétypes et significations des arcanes du Tarot RWS ainsi que l’écoute de son intuition permettra au cartomancien de donner une très bonne lecture à son consultant.
Les 10 cartes additionnelles au Lonely Dreamer
Les cartes additionnelles, au nombre de dix, peuvent s’acheter séparément sur la boutique Etsy de l’autrice du deck, mais elles rentrent parfaitement dans la boite du jeu et leur description est inscrite à la fin du livret d’accompagnement. Ainsi, les personnes qui n’aiment pas cette composante ne se la voient pas imposée et ceux qui aiment découvrir les cartes en plus profitent d’une expérience impeccable : 10/10 ! Personnellement j’adore les cartes additionnelles quand leur présence est bien amenée et qu’elles se présentent comme un véritable plus au jeu. Par exemple, j’ai enlevé les deux présentes dans Le Tarot des Divinités (White Numen) par Alba Bellesta Gonzales (LeDuc Eso en Français) car je n’aimais pas vraiment les tirer. Quand elles sont bien faites, je trouve que cela permet, en plus de donner un aspect unique et personnel au deck, de comprendre de manière plus poussée la vision de la cartomancie de l’auteurice et la démarche qui a motivé la construction du deck.
Ici, comme c’est souvent le cas (on pensera par exemple à l’extension pack du Spacious Tarot), la signification des cartes n’est donnée que pour l’endroit et est assez brève. L’autrice appelle à faire appel à son intuition, ce qui a beau être vrai, donne une petite impression de flemme. Certaines cartes semble faire doublon avec d’autres cartes (Embarking – le 6 d’épées), bien que le sens diffère légèrement. L’addition est sympathique, bien que pas indispensable et peut-être moins riche que dans certains decks.
Le livret, avec Dr. Esther Freinkel Tishman
La troisième édition du Lonely Dreamer contient un livret qui donne quelques informations utiles : le sens des cartes (bien que survolé), le nom de la peinture figurant sur les cartes (utile si vous avez un coup de coeur !). Les associations avec les signes astrologiques, les planètes et les correspondances élémentaires des cartes.
Dans son projet dropm78, celle que l’autrice appelle « Esther » se plonge dans une carte de Tarot par jour en pleine conscience. Le livret suit son approche, l’ordre selon lequel et procède et est enrichi de ses remarques. L’approche est comme suit :
- D : Drop Anchor with the Pentacles (Jetez l’ancre avec les Pentacles)
- R : Respond with the Wands (Répondez avec les bâtons)
- O : Open with the cups (Ouvrez-vous avec les coupes)
- P : Pierce through with the Swords (Passez au travers avec les épées)
- M : Manifest with the Majors (Manifestez avec les arcanes majeurs)
Sans y passer 78 jours, la démarche est intéressante et peut-être instructive à appliquer soi-même pour renforcer son lien avec le tarot, à la manière du programme d’apprentissage proposé dans le livre Pathworking the Tarot. L’approche est complétée avec ce que la doctoresse appelle « les trois D » : Définition (ce que l’on sait déjà sur la carte), Détail : quel détail remarque-t-on à l’instant présent qui donne un angle inédit sur le sens de la carte ? Et enfin Découverte : qu’est-ce que notre pratique du tarot nous a apporté comme connaissances supplémentaires sur la carte ?. Personnellement, je me dis que ces trois dernières choses à observer devraient être indiqués dans tous les livrets pour débutants, car c’est un savoir précieux.
On notera que le livret ne comporte aucune image et est entièrement en noir et blanc, mais il comporte des informations intéressantes et des parallèles avec le Tarot de Marseille Dodal, une référence du genre que nous avons abordé ici. Le texte est de bonne taille mais les marges ne sont pas excessives tout en donnant un texte aéré, ce qui est déjà pas mal.
Conclusion
Je ne pense pas être capable de donner un jugement impartial concernant ce jeu que j’aimais déjà beaucoup. Bien qu’avec les frais d’importation depuis les États-Unis soient non négligeables, ce qui augmente considérablement le coût d’un deck déjà cher pour un jeu de tarot indépendant. Néanmoins, l’originalité du jeu, la qualité de sa conception et de son impression en font un tarot de qualité que je suis fière d’avoir dans ma bibliothèque/tarothèque. En plus, l’emballage était impeccable, que demander de plus !
La troisième et pour le moment derni§re (2023) édition du Lonely Dreamer ne sont disponibles que sur la boutique Etsy de l’autrice, LonelyRavenTarot. Toutes les autres sources se présentant comme officielles ou autres boutiques Etsy disant avoir le deck ou ses éditions précédentes doivent être évitées ou faire preuve d’une précaution extrême.
Suivez l’autrice sur Instagram : LonelyRavenTarot
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1 Musée des Beaux-Arts de Bordeaux et Odilon Redon, The Secret World of Odilon Redon / extrait de A Soi-Même, 1922, Paris, recueil de pensées autobiographiques
2 Delphine Duchêne, Odilon Redon, Könemann, Cologne, Allemagne / Éditions Place des Victoires, Paris, 2022
3 Sonia Darthou, « La Boîte de Pandore », Historia, numéro 820, avril 2015, https://www.historia.fr/mythes-mythologies/la-boîte-de-pandore